
Article paru dans le magazine GRESIVAUDAN, André Weill possède une expérience qui fait écho dans mon projet de Yoga en Marche, Marche et Yoga...
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« Passées trois à quatre semaines, la marche se fait différente. Je pénètre dans une sorte « d’état de grâce » : je n’ai plus mal aux pieds, les tendinites disparaissent, je marche sans effort, sans fatigue. Je n’ai plus besoin de montre. Je me lève naturellement peu avant le lever du soleil et je me couche avec la nuit. J’avance sans inquiétude et il n’y a plus aucun stress. à partir de ce moment, le corps et l’esprit deviennent disponibles, pour découvrir l’environnement immédiat, la nature et les paysages, les habitants des territoires traversés. Souvent, les gens envient ma liberté et la désirent. Il n’est pas rare qu’ils m’invitent à passer quelques jours avec eux. Je les remercie chaleureusement, mais je poursuis mon chemin… »
Saint-Antoine l’Abbaye – Compostelle en 2000 (1 800 km), Drancy – Auschwitz en 2005 (1 800 km), Auschwitz – Jérusalem en 2006 (3 300 km)… Le chemin des sadhus en Himalaya, en 2009 (500 km), avec sa compagne Elisabeth… Le Meylanais André Weill est ce que l’on appelle un grand marcheur. « La différence avec la marche classique ou la randonnée sur quelques jours, c’est l’espace-temps qui s’allonge sur plusieurs semaines, plusieurs mois même. On avance vers son objectif, mais c’est le chemin qui constitue l’expérience, qui nous apporte chaque jour et nous transforme, sur le plan physiologique et psychologique. Au bout d’un mois l’être est transfiguré. »
Et ce qui vaut pour lui-même vaut pour tout ceux qui tentent l’expérience, explique le physicien de formation et ancien ingénieur au CNET de Grenoble (aujourd’hui Orange Labs). Une grande marche est vécue selon lui comme un temps de rupture douce et préparée avec le quotidien connu, elle engendre chez chacun des processus intérieurs comparables : grand dépaysement, voire « déconditionnement ».
« Elle peut même être envisagée comme une forme de thérapie, pour « réparer » un deuil, une séparation, un moment difficile de la vie. » Et André Weill de citer le travail du grand marcheur Bernard Ollivier¹. Cet ancien cameraman de France 3 a créé en 2000 l’association Seuil, qui propose à de jeunes délinquants une alternative à la prison. Leur réinsertion prend la forme d’une marche de trois mois avec un éducateur. Et… ça marche ! 85 % des jeunes délinquants participant à ce type d’épreuve ne connaissent pas la récidive. La marche est ici vécue comme un « rite de passage » de l’adolescence à la société adulte.
Une grande marche, cela se prépare physiquement et socialement Ce qui est sûr, c’est que l’on ne part pas dans une grande marche sur un coup de tête ! D’abord il faut se préparer physiquement, en marchant, en randonnant régulièrement… Il faut aussi se préparer socialement. « Déjà, il faut en discuter avec son banquier, car durant les quelques mois de la marche, il n’y a plus de revenus entrant sur le compte. Il faut ensuite prévenir son entreprise, voire préparer son futur congé (à l’aide d’un Compte Epargne Temps par exemple).
Enfin, et ce n’est pas la moindre des précautions, il faut en discuter avec le cercle familial, avec les amis. » Et recueillir leur adhésion… André Weill conseille même d’avoir un « pilote » : un ami, un membre de la famille avec lequel communiquer régulièrement durant le voyage (par mail par exemple), et qui peut donner des informations utiles sur les régions traversées.
« Désormais, on trouve partout dans le monde des ordinateurs connectés à Internet : cybercafés, mairie, écoles, monastères… Personnellement, j’ajoute un blog au dispositif de communication, sur lequel je raconte mon voyage, et à partir duquel j’échange avec les gens. Mais je n’emporte pas de téléphone portable dans mes marches solitaires, juste une carte téléphonique prépayée, pour les cabines… »
Avoir un but « Ce n’est pas de toucher le but, c’est d’être en marche… » Cette citation de Victor Hugo (La légende des siècles) va comme un gant à la grande marche. Mais pourtant, il faut bien un but. En allant à Auschwitz, André Weill en avait un, et s’il est parti de Drancy, en région parisienne, il y avait une raison, profonde. La voici. En 1940, Fernand Weill, le grand oncle d’André quitte Paris pour des raisons sécuritaires. De tradition juive, il fuit les traques nazies et se réfugie dans sa belle famille, à La Croix Rousse, à Lyon. Il est dénoncé en mai 1944, puis arrêté lors d’une rafle de la Milice française, alors qu’il rend visite à son fils Georges, lequel se cache dans une ferme de Pont-de-Beauvoisin pour échapper au STO².
Dans ce drame, il y a pourtant un évènement providentiel : si la milice française livre les deux hommes aux Allemands, un militaire du IIIe Reich, contre toute attente, et contre les ordres qu’il a reçus, décide de relâcher le fils… « On ne veut pas de toi », lui dit-il simplement, et il le laisse partir ! Georges a eu ainsi la vie sauve. Fernand, quant à lui a été envoyé au camp d’internement de Drancy, puis déporté en Pologne par le convoi n°76, le 30 juin 1944. Il arrive à Auschwitz le 5 juillet, où il est gazé le jour-même avec 755 autres passagers du convoi…
« Quand je suis arrivé à Auschwitz, au terme de ma grande marche de 1 800 km, j’ai eu le sentiment que les choses étaient justes et en place pour moi. Ce fut un moment de vie extraordinaire. Et puis, alors que j’étais recueilli devant le Mur des Fusillés, j’ai été intrigué par un petit caillou blanc coincé dans le monument. Je l’ai pris et mis dans ma poche. Il devenait symboliquement mon grand oncle Fernand assassiné à Auschwitz. L’année suivante, en 2006, avec ce petit caillou en poche, je partais cette fois du camp de concentration nazi pour rejoindre Jérusalem, soit 3 300 km à parcourir à pied. A Jérusalem, j’ai finalement déposé mon petit caillou blanc au pied du mur des lamentations, histoire de donner une sépulture à mon grand oncle… »
Et demain ? A 64 ans, André Weill met désormais son expérience de grand marcheur au service de groupes qu’il accompagne dans le cadre de l’association Compostelle-Cordoue, créée au printemps 2009 sous l’impulsion de pèlerins de Compostelle, de Jérusalem et de La Mecque. Et il projette une nouvelle grande marche qui pourrait relier Le Caire (Egypte) à Cordoue (Espagne), via la Tunisie, l’Algérie et le Maroc.
La mémoire est encore au cœur de ses projets. Il pense particulièrement à trois grands philosophes de l’époque médiévale : le juif Maïmonide, né à Cordoue et mort au Caire, le musulman Averroès, né à Cordoue et mort à Marrakech, et le chrétien Saint François d’Assises qui fraternisa et négocia une paix fragile avec le sultan du Caire Al Kamel, lors de la Cinquième Croisade. « Leur vision et leur regard humaniste sur le monde m’intéressent. Il y a peut-être un message pour l’Europe d’aujourd’hui » dit-il, tandis qu’un sourire éclaire son visage…
Bruno CILIO